http://www.youtube.com/watch?v=DveyEvjbKnk#t=61 FRANCE 24 English Boris Grebenshikov 11/02/2014 à 19h56
Le communisme, le rock, la drogue : rencontre avec le Bob Dylan russe
L’Occident l’a découvert sur les hauteurs de Leningrad, dégaine à la Jim Morrison, sourire insolent, clamant que le rock est une religion et que jamais personne ne lui imposerait sa musique. C’était en 1985, dans le documentaire « Rock around the Kremlin ».
On l’a rencontré presque trente ans plus tard dans un café parisien, deux jours avant son concert au Théâtre de la Ville, le corps alourdi par le temps et les excès, avec la même audace dans les yeux derrière ses lunettes de soleil et sa barbe touffue.
En trois décennies, le monde soviétique s’est effondré, sa ville natale a changé de nom et le rock n’est plus le son de la dissidence. Il n’y a pas de meilleur observateur de ces bouleversements que Boris Grebenshikov, sans cesse qualifié de Bob Dylan russe.
La comparaison l’amuse :
« Une génération de veilleurs de nuit »
Auteur du livre « Back in the USSR : une brève histoire du rock et de la contre-culture en Russie », Joël Bastenaire vivait là-bas dans les années 80 :
« En Russie, il occupe la même place que Bob Dylan aux Etats-Unis. Il est une figure de la résistance, qui a joué un rôle fondamental dans la construction d’une identité russe. Musicalement, il y avait plus fort mais comme Dylan, il a eu des mots et des formules qui ont fasciné la jeunesse. »
Le « you don’t need a weatherman » de Dylan a donné son nom à un groupe de gauche radical. Grebenshikov, lui, chantait « une génération de portiers, de veilleurs de nuit et de gardiens d’immeuble ». C’est devenu l’expression pour désigner tous ces jeunes qui, parce qu’ils refusaient de jouer le jeu du Parti, n’occupaient pas le métier qu’ils méritaient.
Ecriture hallucinée et « marginalité totale »
Grebenshikov fonde Aquarium en 1972, un des groupes qui comptent le plus dans l’histoire du rock russe. Joël Bastenaire :
« Aquarium, c’était une musique gentille et des looks plutôt sages mais une marginalité totale, une vraie radicalité. »
Le « sex drugs and rock’n roll » se marie bien avec l’âme slave. Grebenshikov dévore les poètes surréalistes, Eluard surtout, et les plaisirs chimiques – la combinaison donnant l’écriture hallucinée. A 60 ans, boucle à l’oreille et veste en jean’s pleine de pin’s, il continue de défendre ce mode de vie :
« Tout ce qui peut perturber la manière classique de voir la vie – les drogues, la méditation, l’amour – peut aider. »
Devant son café – pas de vodka, déception – il se souvient de ces années de dissidence avec amusement, parle d’une époque « d’aventures comme l’Ile aux Trésors », définit sa rébellion d’alors :
« C’était comme être dans un très grand train, bondé, et vous vous rendez compte qu’il va dans la mauvaise direction. Vous ne pouvez pas le faire changer de direction. Alors, que faire ? Vous pouvez juste vous jeter par la fenêtre pour retrouver le monde normal. C’est ce que nous avons fait. »
« Le communisme est une grande idée mais elle est impossible à réaliser. Parce que les gens veulent tous des choses différentes. Pour les rassembler, il faut être dur et il faut étouffer des gens. »
En 1980, le pouvoir cède un peu : la télévision publique diffuse pour la première fois un concert de rock, le festival de Tbilissi. La programmation et les paroles ont été validées, toutes les chansons sont plutôt tranquilles, dans la veine des Beatles et de Bob Dylan.
Aquarium arrive sur scène et se lance dans un morceau à la limite du punk. La télé censure leur prestation, la diffusion s’arrête. Dans les jours qui suivent, Grebenshikov est renvoyé de son travail et du Komsomol, le rassemblement des jeunesses communistes.
C’est aussi brutal que le revirement quelques années plus tard : avec la perestroïka, le rock devient musique d’Etat et Aquarium un des premiers groupes à sortir son vinyle. Alors consacré, Grebenshikov fait pourtant le choix de partir presque immédiatement aux Etats-Unis, pour se frotter aux « vrais ».
« Me bourrer la gueule la nuit à Central Park »
Il débarque à New-York comme « un adolescent de 15 ans avec une énorme libido qu’on aurait lâché dans les vestiaires d’une agence de mannequins ».
« La première chose que j’ai faite, c’est me bourrer la gueule tard dans la nuit et aller à Central Park pour voir si j’allais me faire tuer ou pas. Et non, pas du tout ! Je pouvais faire ce que je voulais, prendre n’importe quelle drogue, faire n’importe quelle chose stupide. »
Avec son look de hippie et son charme d’érudit, le Russe séduit, côtoie Bowie et les stars de l’époque, enregistre un album en anglais avec David Stewart d’Eurythmics. La télé américaine s’amuse de sa première « soviet rockstar ».
Après un deuxième album, enregistré à Londres, Grebenshikov décide de rentrer en Russie. L’expérience occidentale tourne court. Pourquoi rentrer si vite ?
« Imaginez-vous Paris, le Quartier Latin, en 1968. A ce moment-là, la Russie, c’était encore mieux, on pouvait faire n’importe quoi, je n’allais pas rater un tel spectacle ! »
Joël Bastenaire a une autre explication :
« Commercialement, ça n’a pas marché du tout. Le personnage a bien plu mais sa musique n’a pas séduit. »
« Le rock est déjà mort au moins dix fois »
Depuis vingt ans, Grebenshikov assoit son statut d’icône, de grand sage du rock russe. Il a touché à tous les styles de musique, écrit des romans et traduit des textes bouddhistes. Ses compatriotes le voient comme une figure spirituelle, il passe son temps à parler d’harmonie.
« La religion peut être une part très riche de la vie. Comme dit ma femme, elle est l’université de l’amour mais tôt ou tard, il faut avoir son diplôme. »
Le mysticisme imprègne son écriture, ouvertement symboliste, influencée par les classiques russes et les poètes français.
« Quand j’écris, je n’ai aucune idée d’où ça vient. Les poètes sont comme ça : ils ouvrent des portes et des fenêtres et de la caverne, vous avancez vers la lumière. La poésie, c’est une magie très puissante, elle a toujours été là et le sera toujours.
Le rock aussi, il est déjà mort au moins dix fois. Quand Elvis est parti faire son service militaire, quand le punk est arrivé… Mais il est toujours là. »
Le poète n’a pas vieilli mais le rebelle s’est assagi. On lui reproche parfois son manque d’engagement politique : il s’est prononcé pour la libération des Pussy Riot mais ne fait pas partie des anti-Poutine les plus véhéments. Il sourit, encore :
« Si je vous dis quelque chose, vous le mettrez sur Facebook, ça reviendra jusqu’aux oreilles de gens du Parlement et demain matin, la police viendra me chercher pour me mettre en prison. Ce ne serait pas très sage de parler. »
« Je suis un rebelle conservateur »
Grebenshikov dit aussi que ça ne sert à rien de parler, que « la seule façon de changer les gens, c’est de montrer l’exemple, pas de leur dire ou imposer des choses. » Il a enregistré un album avec des musiciens africains, lui qui dénonce « le racisme anti-noirs » de son pays.
On demande au papy rockeur s’il se définit toujours comme un rebelle. Sa réponse lui ressemble :
« Si j’étais encore un rebelle, je serais vraiment stupide. Goethe disait qu’il fallait être rebelle quand on est jeune et conservateur ensuite. Je crois que je suis un rebelle conservateur. »
Imanol Corcostegui
http://rue89.nouvelobs.com/rue89-sport/2014/02/11/communisme-rock-drogue-rencontre-bob-dylan-russe-249838
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